|
“Le Rire”: son histoire
Avec plus d’argent et plus de temps pour les loisirs, la population
urbaine accéda a des activités plus intellectuelles et plus
spirituelles. Dorénavant mieux éduqués, les gens
pouvaient désormais apprécier la culture, l’art et
la littérature. Comme le montrent les affiches de publications,
il y avait un fort engouement pour les livres, les journaux et les magazines
qui pouvaient faire apparaître le monde extérieur au lecteur
comme jamais auparavant (cf des publications telles que Harper’,
Lippincott’s, Le journal, Pan, Gilles Blas, La revue Blanche et
Le Rire).
“Le Rire” fut le plus réussi de tous les journaux
humoristiques, publié en France pendant la “Belle Epoque”
(les dernières années du XIXème siècle). Il
fut publié en tant que satire hebdomadaire illustrée, d’octobre
1894 jusqu’au milieu des années 1950. Il fut fondé
à Paris par Félix Juven en 1894. A cette époque,
la corruption et l’incompétence s’emparaient des hommes
politiques et du gouvernement français. Il y avait une certaine
agitation anti-républicaine à l’égard de l’impopulaire
affaire Dreyfus. C’était aussi les 90 joyeuses, un temps
de cabarets et de cafés bondés où il était
courant de rencontrer des personnes telles que Yvette Guilbert et Polaire,
pour amuser les impatients issus de la révolution industrielle.
Un moment opportun pour se moquer de la politique et des problèmes
sociaux d’alors.
Ce fut grâce aux magnifiques illustrations en couleurs des pages
de couvertures, et de la double page intérieure, que “Le
Rire” devint remarquable. Imprimé comme un petit journal,
avec le texte en noir et blanc et de la publicité au dos de chaque
dessin en couleur. Les grands artistes qui florissaient en nombre à
Paris attendaient en ligne pour afficher leur talent dans “Le Rire”
à un public anxieux. Le plus important et le plus reconnu de tous
ces collaborateurs fut Toulouse-Lautrec, qui fit dix remarquables illustrations
en couleurs, et sept en noir et blanc, rien que pendant les trois premières
années de publications (Octobre 1894 – Octobre 1897). Il
nous présente de nombreuses célébrités de
l’époque, ainsi que des scènes typiques allant de
la chambre au bordel. Il créa alors quelques unes des plus belles
et des plus mémorables peintures jamais produites pour une revue.
Le plus prolifique de tous les artistes de l’ensemble des magazines,
y comprit “Le Rire”, fut le grand Steinlen. Entre 1883 et
1900, il arriva à produire presque 2000 illustrations pour un ensemble
de 50 journaux. “L’humanité de la rue, la classe ouvrière,
les sans éducation, les exploités” constituaient l’insidieux
thème de l’art de Steinlen. Attiré par tout ce qui
touche au peuple, il trouva un moyen économique et populaire de
diffuser ses messages à caractère social. (Révolution
de la Couleur p.8). Il contribua à plus d’une douzaine de
travaux étonnant pour “Le Rire”.
En 1898, le bientôt célèbre jeune artiste italien
Leonetto Cappiello, se décida à rendre visite à Paris.
Il trouva la ville extrêmement passionnante et voulut y rester mais
dut trouver de quoi vivre. Il se mit en contact avec deux de ses compatriotes
célèbres, l’acteur Novelli et le compositeur Puccini
et leur proposa de réaliser une esquisse de leurs caricatures.
Ils acceptèrent, et Capiello soumit son travail au magazine humoristique
“Le Rire”. Ses dessins furent promptement accueillis, et tellement
apprécié du public qu’il devint, en l’espace
d’une nuit, l’artiste favoris du théâtre de Paris.
Ses douzaines de compositions pour “Le Rire” lui apportèrent
une énorme reconnaissance et sa première commande d’illustration,
à partir de laquelle il devînt un artiste d’affiche,
parmi les plus populaires du XXème siècle.
D’autres artistes très connus ou en passe de le devenir,
ont contribué à “Le Rire”, y compris Forain,
Leandre, Metivet, Vallotton, Willette, Georges Meunier, Guillaume et Bac
pour en citer quelques uns. Les travaux de ceux-ci et d’autres dans
“Le Rire”, imprimés sur une centaine d’années,
sont devenus la lubie des collectionneurs et sont de plus en plus difficiles
à trouver en bonne condition.
|
|
|
Lautrec and Le Rire
Yvette Guilbert (10/11/1894) - 23 cm x 31 cm
“De tous les artistes de Music Hall qui ont inspiré Lautrec,
Yvette Guilbert a sans aucun doute été celle qui exerça
la plus grande attraction sur lui. Il était complètement
envoûté par le style et l’atmosphère de ses
interprétations. Lautrec la rencontra pour la première fois
vers 1892. Elle avait révolutionné toute l’atmosphère
du café concert en employant une toute nouvelle approche dans l’interprétation
des chansons. Elle se tenait debout, presque sans bouger hormis les mouvements
de ses bras longs et fins enrobés de gants noirs, qu’elle
portait presque toujours, son visage dénué de la moindre
expression hormis la courbure de ses lèvres, elle chantait des
chansons hautement scandaleuses, en mots et en thèmes. Les spectateurs
de Paris étaient captivés, et personne plus que Lautrec.
Il trouva l’atmosphère toute entière de sa prestation
et de sa personnalité attachante. Après plusieurs années,
ils finirent par se connaître vraiment et elle inspira quelques
une de ses plus belles lithographies, dessins et peintures.”
Miss May Milton (03/08/1895) - 23 cm x 31 cm
“Il n’y avait rien qui puisse retenir l’attention dans
son visage un peu pâle, tel un clown, mais son agilité, et
ses très ‘british’ talents en chorégraphie,
acquit dans les fantastiques spectacles de pantomimes qui abondaient de
filles dansantes, furent à l’époque révolutionnaires…
Jane Avril prit de manière constante May Milton sous sa tutelle.
En dépit de son soutiens et de l’affiche de Lautrec (qui
fut préparé en vue d’une tournée américaine
qui n’eut jamais lieu ) May Milton ne fut présente Rue Fontaine
qu’un seul et unique hivers. On ne sait rien de ses origines ni
ce qu’il advint d’elle par la suite. Sa célébrité
est entièrement due à Lautrec.”
Sans titre (Alors...) (09/01/1895) - 23 cm x 31 cm
On peut supposer que la plus grosse des femmes est une dame de bordel
interrogeant une fille de bar ou une prostituée potentielle. Elle
demande: “Etes-vous une dame vertueuse ?”, ce à quoi
l’autre répond: “Oui madame mais j’ai un amant”.
Leurs personnalités prend forme dans le rendu exquis de Lautrec
au niveau des visages et du discours des corps. La Dame se tient détendue
avec un sourire d’assurance, en contraste direct avec la moue de
la petite demoiselle, ne paraissant pas à l’aise sous son
chapeau et son manteau fermé.
Snobisme (24/04/1896) - 23 cm x 31 cm
On trouve un élégant gentleman et une compagne, une prostituée
ou sa maîtresse, tous les deux assis à une table d’un
chic restaurant de Paris. Le repas est fini, et alors qu’il étudie
l’addition, il lui dit doucement: “Jeanne, prenez mon porte-feuille,
sans que personne ne vous voit, dans la poche gauche de mon imperméable.”
“Et après ?” lui répond-elle en cachette, avec
un sourire entendu. “Après, donne-le moi comme si c’était
le tiens.” On en déduit qu’il veut protéger
la réputation de la fille, ou plutôt la sienne, de l’oeil
inquisiteur du portier de l’établissement. Un exemple concret
de snobisme hypocrite qui devînt de plus en plus en vogue dans le
Paris de l’époque, et dont seul Lautrec pouvait capturer
la rare profondeur et la beauté.
Les Grands Concerts de l'Opera (08/02/1896) - 23 cm x 31 cm
“Assis sur la droite, Ambroise Thomas à l’une des
représentations de son Opéra ‘Françoise de
Rimini’. En premier plan, on trouve le chapeau de Misia ( Misia
Natanson, la femme de l’un des célèbres frères
Natanson.). Cette illustration a été réalisée
en 1896, sous le titre “Les grands concerts” pour la revue
Le Rire, alors sous la direction d’un des amis de Lautrec, le critique
d’art Arsène Alexandre. Lautrec a souvent utilisé
des sujets à thème pour ses illustrations, mais seulement
quand il y trouvait lui-même quelque chose d’intéressant.”
Au Moulin-Rouge, Entrée de Cha-U-Kao (08/02/1896) - 23 cm x 31
cm
“Montée sur une mule et entourée de gardes, Cha-U-Kao
fait son entrée festive dans le grand hall du moulin rouge, le
jour de Mardi gras, en février 1896. Dans la galerie, derrière
elle, un garçon sert les boissons. A la droite de la tête
de Cha-U-Kao, Lautrec et Gabriel Tapie sont montrés en plein appréciation
du spectacle, appelé généralement Redoute. Ce dessin
a été créé pour la revue Le Rire.”
Baron dans le Charbonniers (30/01/1897) - 23 cm x 31 cm
Une étude de personnage exceptionnelle, menée par Lautrec,
sur le comique acclamé Mr Baron. Le texte dit: “Les journaux
annoncent que Mr Baron, célèbre comique, est sur le point
de quitter le théâtre Variety , où il a jouit d’un
long succès.” Il est montré assis à un bar
dans le rôle d’un secrétaire de préfet. Son
nez assombrit et ses yeux abattus montrent les effets d’un abus
d’alcool, cependant avec son chapeau et con col monté, il
reste serein. L’étude présente l’autosatisfaction
pompeuse d’un bureaucrate typique du jour, une démonstration
atténuée de l’esprit cinglant de Lautrec.
Polaire (23/02/1895) - 23 cm x 31 cm
“Polaire avait une présence éblouissante sur scène.
De son vrai nom Emilie Bouchard (1877-1939), originaire d’Algérie,
elle était sous tous les angles un sacré personnage. Dotée
par la nature d’une poitrine généreuse, elle ignorait
le code vestimentaire Victorien qui imposait que les femmes cachent leurs
seins autant que possible, et refusait de porter les corsets serrés,
d’où cette facilité étonnante à faire
porter l’attention sur elle, et il n’est pas interdit de penser
que ce pourrait être l’une des raisons de son entrée
dans le show business en tant que chanteuse de café à l’âge
de 15 ans. Tout à son honneur, elle sut profiter le plus de la
situation et saisit la première occasion qui se présenta
pour jouer sur scène. Elle surprit alors tout le monde en se révélant
être une comédienne sensible et intelligente, et en l’espace
d’un an jouait le rôle principal de soubrette dans des comédies.”
Lautrec a su entièrement capturé l’essence de son
personnage dans cette illustration pour Le Rire, certainement l’une
des plus magnifiques.
Les Petits Levers (24/10/1896) - 23 cm x 31 cm
Dans cette exquise oeuvre comique, intitulée “Début
de matinée” Lautrec nous emmène dans une chambre à
coucher, peut-être dans l’un des bordels où il allait
souvent, où dans l’appartement d’une bureaucrate puritaine,
qu’il aimait tant avilir. On y trouve un gentleman dans un lit,
montrant les effets d’une nuit frivole, regardant une femme, maîtresse
ou prostituée. Souriante, elle lui présente ses seins nus
et lui demande: “Que voudrais-tu pour le petit déjeuner ?”
L’implication est claire, et la scène nous montre le plus
espiègle des Lautrec.
Dans les Coulisses des Folies-Bergere (13/06/1896) - 23 cm x 31 cm
On voit Madame Lona Barrison avec son manager et son mari dans les couloirs
des Folies Bergères, dans un dessin pour Le Rire. Madame Barrison
était une championne d’équitation d’une renommée
considérable. Lautrec adorait porter son attention sur les cavaliers
et les cavalières, et les considérait comme des compagnons
d’art. Les Folies Bergères n’est pas resté dans
la mémoire pour ses spectacles de chevaux. Comme l’explique
Laura Gold, “Lorsque le plus célèbre des cabarets
de Paris (Les Folies Bergères) ouvrît ses portes en 1869,
il affichait toute sorte de programme, y compris les animaux et le cirque,
similaire aux vaudevilles américains. Ce ne fut que bien plus tard,
que l’établissement choisit de se concentrer sur des filles
dansantes avec des costumes déshabillés. Cela se révéla
être une bien plus grande attraction.”
Chocolat dansant dans un bar (28/03/1896) - 23 cm x 31 cm
“Les bars irlandais et américains étaient décrits
en tant que bar anglais où les vrais buveurs invétérés
seraient assis en silence, perdus dans la contemplation des bouteilles.
Le barman Randolphe, que l’on peut voir assit à gauche, était
connu sous le sobriquet Ralph. Moitié chinois, moitié indien
d’Amérique, né à San Fransisco, il affichait
une dextérité asiatique dans le mélange de cocktails
spéciaux. Au milieu de la fumée, jockeys, entraîneurs,
palefreniers et vendeurs de chevaux jouent des coudes avec des cochers
pompeux dont les employeurs dînent dans l’un des restaurants
chics aux alentours. Le célèbre clown nommé Chocolat
(ici en train de danser) manifestait une grande dévotion pour cette
établissement enfumé sans prétention. Après
sa performance au Nouveau Cirque, il venait ici pour étancher sa
soif avec son partenaire Footit. Occasionnellement, Chocolat se mettait
à danser… Lautrec était fréquemment le dernier
client à quitter le bar avec l’heure de fermeture.”
Patinage (11/01/1896) - 23 cm x 31 cm
Dans ce travail de Lautrec simplement intitulé Patinage, il nous
donne un aperçu de la société en même temps
que de son activité en elle même. Depuis la galerie, un homme
très distingué en monocle et haut chapeau prépare
sa boisson tout en surveillant la scène. Une patineuse blonde,
avec un profil remarquable et un chapeau en harmonie, tiens la rambarde
tout près de lui. Elle donne l’impression de regarder à
travers lui. Dans l’arrière plan on peut apercevoir un serveur
se déplaçant avec un plateau remplis de boissons, ainsi
qu’une autre patineuse en dehors en appui contre le rail, pendant
qu’un autre homme patine sans effort autour d’eux. Une lignée
d’hommes et de femmes tous aussi élégants les uns
que les autres entourent la galerie. Lautrec a capturé le mouvement
de la scène avec efficacité, l’atmosphère et
le romantique du patinage d’intérieur, un très populaire
passe-temps de la fin du siècle.
Aux Folies-Bergère, Les Frères Marco (22/12/1895) - 23 cm
x 31 cm
Aux Folies-Bergère, on retrouve les frères Marco. Un énorme
clown regarde d’en haut son partenaire. Un exemple exceptionnel
de la capacité de Lautrec à rendre les formes humaines avec
de simples gros traits. Il y ajoute seulement quelques touches de couleurs.
Il capture de manière simple, l’essence même des artistes
pendant leur représentation. L’une de ses plus impressionnantes
contributions au magazine Le Rire.
Traduction
: Nicolas Modrzyk |
|